Imaginaires surréalistes : mot de l’éditrice

insta_imaginaires-7
insta_imaginaires-10
insta_imaginaires-2

Lorsque sont nées Les Herbes rouges, en 1968, mes parents étaient encore enfants. Je n’ai pas connu Marcel Hébert, le frère aîné du duo, qui a entraîné son cadet François dans son projet de fonder une revue, laquelle les a ensuite menés à créer leur maison d’édition. De Marcel Hébert, décédé en 2007, je n’aurai connu que les poèmes et les souvenirs racontés par celleux qui l’ont côtoyé.

Mais quand j’ai rencontré François Hébert, en 2014, j’avais à peu près le même âge que les deux frères au moment où leur revue a pris son essor. Jeune poète peu sûre de mes moyens, j’étais pourtant persuadée qu’il fallait inventer, à même la langue commune, des combinaisons fortuites, des formules défiant l’ordre « normal » des choses. Je pressentais qu’une forme de liberté devenait ainsi imaginable, une liberté dont j’avais besoin et que je voulais partager avec d’autres.

Cette énergie si particulière, tournée vers l’avenir, cette curiosité insatiable qui m’animait, François Hébert l’a reconnue, car elle était aussi la sienne. C’est la curiosité et la soif d’étonnement, ils l’ont dit souvent, qui ont motivé les deux éditeurs toute leur vie. Même si, dans le Québec de la fin des années 1960, la poésie qu’allaient défendre Les Herbes rouges était encore à l’état de germe (bientôt les Huguette Gaulin, Roger Des Roches et François Charron, pour ne nommer qu’elleux, allaient commencer à publier leurs singuliers poèmes), les frères Hébert étaient conscients que d’autres leur avaient ouvert la voie. Et leur intention d’attirer l’attention sur des œuvres étonnantes, portées par un désir impérieux de liberté, s’est aussi manifestée par l’accueil dans leurs pages de textes écrits et publiés auparavant.

C’est ainsi que, des six auteurices qui sont rassemblé·es ici, le premier à avoir fait son apparition dans la revue fut Gilles Groulx, dont des poèmes ont été inclus dès le quatrième numéro, en 1971. Au fil des deux décennies suivantes, Thérèse Renaud, Michèle Drouin, Suzanne Meloche et Micheline Sainte-Marie trouveront également leur place dans nos pages. Et, en 2001, alors que la revue les herbes rouges a terminé son parcours depuis quelques années déjà, la maison d’édition réunit leurs recueils dans le livre Imaginaires surréalistes, en y ajoutant deux titres de Jean-Paul Martino.

Ce qui lie ces huit recueils, ce n’est pas seulement leurs dates d’émergence (entre 1946 et 1960) et leur caractère innovateur, mais aussi la proximité de leurs auteurices avec le mouvement automatiste et le Refus global, ce manifeste qui a mis le feu aux poudres en appelant à sortir de la Grande Noirceur. Si chacun·e des six poètes ne se réclamait pas des étiquettes « automatiste » et « surréaliste », on relève des élans communs entre leurs œuvres. Le poète François Charron, dans l’édition de 2001, signait une postface étoffée dans laquelle il met en relation ces élans avec le contexte socioculturel de l’époque où les textes ont été écrits. Nous reprenons la postface dans la présente édition, car en plus de proposer pour les recueils un contexte et une analyse, elle témoigne aussi, dans sa fougue et son emportement, d’un prolongement, d’une communication, voire d’une continuité de la révolte.

Nous avons également profité de cette nouvelle édition pour revoir minutieusement la mise en page et restaurer les images qui ponctuent les textes afin de les présenter de façon aussi fidèle que possible aux premières éditions.

Les huit recueils rassemblés ici, portés par la même audace et la même irrévérence qui animent Les Herbes rouges depuis plus d’un demi-siècle, font preuve d’une sensualité et d’une imagination sans compromis. Ils sont irréductibles, inépuisables. Cette nouvelle édition d’Imaginaires surréalistes est un hommage rendu à ces textes d’une « anarchie resplendissante ».

Roxane Desjardins
février 2024