ISBN: 978-2-920051-93-5
...J’AI TELLEMENT CHANGÉ QUE JE NE ME RECONNAIS PLUS... en ce temps-là les mots sortaient de ma plume comme des jets de sperme aujourd’hui le plus possible comme flots de lumière c’était le temps des grandes décharges au printemps de l’écriture l’impulsion violente de la tendresse une fureur de vivre l’inassouvissable ferveur rouge de la chair à battre sous le fer des mots flambants la passion
en ce temps-là je découvrais le corps de la femme sans savoir trop quoi faire avec et j’imaginais les plus orgiaques images et les rythmes les plus saccadés mais toujours la femme confondue au pays pour prendre demeure de plus en plus dans la dimension sacrée cachée sous le halètement parfois frustrant du sexe
en ce temps-là entre 1964 et 1966 je commençais de lire mes premiers poèmes au Perchoir d’Haïti avec Juan Garcia et Gilbert Langevin et Nicole Brossard etc.: ruts est essentiellement l’expérience écrite de ma folie pour le jazzz j’écoutais le cool de Miles Davis, le bebop de Charlie Parker auxquels firent suite les FREE jazzzmen: Coleman Coltrane Shepp Aylor Taylor Ra ce qui peut expliquer la discontinuité dans la césure des vers laquelle correspond à la liberté pure de l’improvisation jazzzistique je voulais reproduire à l’intérieur du débit de la phrase cette idée du temps fort et du temps faible entre lesquels se balancent le ritardendo et l’attaque caractéristiques d’une musique basée sur la syncope noire et cela jouait sur l’espacement dans la disposition des vers qui correspond à autant de reprises de lecture jusqu’à ce que revienne le début de la ligne et que continue la discontinuité
ruts est mon livre de libération de la chair et d’appel pour que le sexe s’illumine de joie aujourd’hui c’est toujours le même projet mais c’est presque dix ans après et ce qui m’intéresse maintenant c’est la continuité la durée dans l’amour
LES MOTS SONT CHANGÉS DE PLACE C’EST TOUT SIMPLEMENT ÇA.
Raôul Duguay
Coll. «Lecture en vélocipède», n° 2
1974, 94 p., ill.