Un certain désemparement

Le journal
24 septembre – 6 décembre 1993

Jean-Pierre Guay


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ISBN: 978-2-89419-133-0

Château-Richer, vendredi 24 septembre 1993. – Il fait soleil. Le temps est frais. La marée descend. Et plus elle descend, plus on voit de rochers sur la grève. Il y en a de très gros sur lesquels pourraient facilement tenir quatre ou cinq hommes debout. Sauf mon chien, Démon, et moi (et quelques amis que j’y ai conduits à l’occasion), je n’ai jamais vu personne s’en approcher. Et la région de Québec compte cependant plus d’un million d’habitants. Où vivent donc les gens pour que la nature, non pas aménagée mais brute, leur semble aussi inamicale et étrangère. Ils vivent dans leur tête, dans leurs pensées, dans l’attente de la mort. La mort seule les occupe, du début à la fin de leur vie. Leur névrose est collective et totale. Et s’ils lisaient cela il ne s’en trouverait pas un pour se retenir de faire défiler devant moi la procession des nombreuses et bonnes raisons pour lesquelles ils ne sauraient s’avilir à perdre leur temps comme je perds le mien. Des rochers. Des carcasses de poissons laissées ici et là par la mer et dont vont bientôt se nourrir les oiseaux du ciel. En quoi cela peut-il bien les concerner. En rien. Et c’est précisément ce qu’ils ne peuvent pas supporter.

 

1998, 134 p.